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Article sur Futuro et Pen Duick VI paris Match janvier 2023

Paris Match

Article Paris Match janvier 2023 par Patrick MAHE

Pour Marie Tabarly « Pen Duick VI » n’est pas qu’un coursier des mers, c’est aussi une aventure humaniste

Pour Marie Tabarly « Pen Duick VI » n’est pas qu’un coursier des mers, c’est aussi une aventure humaniste

Soir d’été : comme toujours, bien avant le soleil couchant, les quais de La Trinité-sur-Mer sont noirs de monde. On est en 2020 et voici que s’ancre en majesté le voilier « Futuro« , en provenance de la Martinique. A sa barre, Dominique DUBOIS, le nouveau propriétaire, classé 7ème en catégorie monocoques lors de la Route de Rhum précédente. Il boucle une transatlantique de cinq semaines et rêve déjà de course autour du monde: l‘Océan Globe race 2023. Durant la traversée, à flots chaotiques, il a potassé le lourd réglement de la course mythique : le Graal du marin.

 

 

Ses allures de Jacques Perrin – l’acteur -, sage séducteur, sous le cheveu argenté, sa prestance version « homme tranquille », sa maîtrise à la manœuvre attire l’œil. Alors P-DG du chantier Multiplast, à Vannes, constructeur des Ultimes, ces géants des mers aux cent records, dont « Gitana 17« , dernier vainqueur de la route du Rhum, il vibre au rythme des rêves et des défis.
Amarrée non loin des quais, la coque noire de « Pen Duick VI » danse sous les yeux ; un joyau à bord duquel, vainqueur héroïque de la transat 1976, Eric TABARLY s’est fait tombeur d’océans. Mais voici déjà que s’avance la silhouette élancée de Marie Tabarly, alors 36 ans, corps d’athlète, visage sculptural, taillée depuis l’enfance pour avaler les milles nautiques. Être la fille de Tabarly façonne un héritage et dessine un destin.
En se croisant sur le môle Caradec, nom d’un navigateur qui a péri en mer, les deux marins, qui s’étaient déjà rencontrés à Saint-Malo, parlent spontanément le langage des….marins.
« Tu vises quoi avec « Futuro » ? lance Marie.
Le tour du monde 2023 ! Et toi, tu n’y penses pas ?
– Non. Je n’ai pas les sponsors et je ne veux pas emmener « Pen Duick » dans les mers du Sud…
– mais ce sera le jubilé, les 50 ans de la Whitbread [ nom d’origine de l’Océan Globe Race, dite aussi OGR], la seule grande course que ton père n’a pas gagnée. « Pen Duick » , costaud, puissant, est fait pour elle. Et toi pour lui… »

parler à Marie de son père est un défi à sa pudeur. Elle n’a jamais vu en lui le héros des mers célébré par toutes les chroniques du temps. Héros, il l’était au naturel, en effet, pour elle, pour tous, sans surjouer l’étiquette acquise à la force du cabestan, des tractions exercées sur les cordages, écoutes, drisses ou bras de spinnaker.
Entre deux courses et trop d’absences, il posait son sac à Kerlaiguer, sa longère de pierres centenaires, au lieu-dit Gouesnarc’h, calée au-dessus de l’Odet en Cornouailles bretonne, a deux pas de Quimper. Marie lui donnait la réplique à l’heure des jeux d’enfants, partageant les rires dans une tendresse complice. Elle aimait grimper, en funambule, sur la grosse ancre de bronze qui tient de lieu de vigie aux portes du domaine bordé de genêts dorés et de fougères arborescentes.

 

A l’heure où tant de gamines s’endormaient sur leur poupée mannequin à la mode, Eric élevait sa fille à la garçonne. Elle en reste fière. A l’age de 4 ans, la grand-voile de « Pen Duick » affalée, elle le « canaillait » (une expression à elle) sur le pont entre deux parties de cache-cache aux Antilles. A 12 ans, elle hissait déjà le grand spi. Plus tard, elle fera ses armes « à la dure » dans le sillage d’Olivier de Kersauzon, premier équipier de son père aux heures héroïques.

Alors, quand Dominique DUBOIS la défie sans le vouloir (ou presque), elle se tait, encaisse, réfléchit… Sa riposte sera à la hauteur des espérances: « C’est bon, je me suis inscrite », lui lance-t-elle trois mois plus tard, lors d’une soirée au Yacht Club de France. Ils se retrouveront donc au départ, le 3 septembre 2023, à Portsmouth, avec cinq autres équipages français, à force connotation bretonne. Un tour du monde – aux quatre escales – ne s’improvise pas. Non seulement parce que « Pen Duick », avec sa cathédrale de voiles, mesure 22.25 mètres, mais aussi parce que le réglement de l’Ocean Globe Race impose un quota de 30% de professionnels pour 70% d’amateurs.
Le souvenir de « Sayula« , un Swan de série, long de 19 mètres, premier vainqueur des 27 000 milles parcourus, en 1973-1974, a marqué les esprits. Il a prouvé qu’un yacht moderne peut soutenir les plus hautes latitudes par mer agitée et vents puissants. « Pen Duick » (mésange à tête noire en langue bretonne), le légendaire ketch noir, ne manque pas donc d’atouts pour souffler, victorieusement, sur les 50 bougies de la Whitbread.



		

Lors de sa visite à Paris Match, en novembre dernier, Marie nous détailla ses deux priorités depuis que le compte à rebours est lancé, c’est-à-dire depuis l’Armen Race (à la Trinité-sur-Mer en mai), le Tour d’Irlande et la Fife Regatta en Écosse (juin), le Tour des îles britanniques et d’Irlande (aout).

Sonna d’abord l’heure de la mise en chantier à Lorient, pour parfaire l’état du voilier : « imaginez un 22 mètres, son mât de 25 mètres pesant 1.7 tonne, empaqueté sous des bâches ! On aurait dit une sculpture de Christo! « .

Le 15 décembre, le voile était levé sur les voiles et « Pen Duick » paré pour la Transat du RORC (Royal Ocean Racing Club), la Transatlantic Race, ouverte aux monocoques et multicoques de 30 pieds minimum, départ de Lanzarote (îles Canaries) le 8 janvier en direction de la Grenade, puis Transat retour en avril. Les Caraïbes seront alors un terrain de jeu des 60 équipages en février et en mars.

La seconde priorité de Marie portait sur la composition de son équipage. pas une mince affaire, en effet, que de sélectionner douze gaillards (hommes et femmes) déjà chevronnés, même s’ils ne sont pas professionnels. Et même de former deux équipes de douze !

Ne résistant pas à la modernité, elle zappe l’épreuve poussiéreuse du curriculum vitae classique. Elle lance la pêche aux volontaires sur Internet : Lettre de motivation, vidéo de présentation de deux minutes, projet sur les enjeux autour de la planète verte (et bleue). Ce dernier point n’est pas négligeable. « Pen Duick VI » n’est pas seulement un coursier des mers à ses yeux. Marie fait de lui un point d’ancrage humaniste et environnementale ; vaisseau amiral de son association Elemen’Terre Project. De quoi faire plancher l’équipage – même pendant l’OGR – sur des thématiques dignes du « meilleurs des mondes » à léguer, toute une réflexion à mettre en œuvre autour de la bio-diversité et la défense du littoral.

En tout, 170 candidats répondent à son appel. Cet enthousiasme contagieux la réjouit : « J’y suis allée franco, un peu à la façon de Shackleton, l’explorateur du monde polaire qui déclara à ses futurs engagés : « Si vous rêvez d’un voyage aventureux sans être sûrs d’en revenir, rejoignez-moi ! ». Elle en présélectionne 60, dont 38 qui participent aux programmes de printemps et d’été. Il en restera 18 ( 8 femmes, 10 hommes) à l’issue des victoires sur la Drheam-Cup et au Tour des îles Britanniques. L’œil vif, elle vante leur témérité : « Tous sur le pont et par tous les temps. A fond !« . Et le plus important : « Entre eux, l’osmose est réussie; »

Reste à recruter six professionnels (des Britanniques aguerris sont dans sa ligne de mire) pour encadrer les deux équipes de douze. Certains seront du grand départ, à Portsmouth, les autres au fil des quatre escales.
Un dernier challenge ? Oui car il existe encore un solide budget à boucler. Rien qu’un jeu de voiles coûte 140 000 euros. Le tour du monde sur mer se fait, aussi, plus terre à terre. Avis aux partenaires. Avis aux amateurs de rêve et de frissons. Bon vent, Marie !

Article du paris Match  5 au 11 janvier 2023 par Patrick MAHE et Olivier de Kerzauson

 



		

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